Le savant allemand Otto Lidenbrock, héros romanesque de Jules Verne, est le seul à s’être approché du centre de la terre. Pour leur part, les êtres en chair et en os sont cantonnés à sa surface. Or la surface d’une sphère est fermée, elle ne comporte pas de bordure, pas de périphérie et donc pas de centre, pas de position géographique qui puisse être apparentée à une centralité. Dans ce contexte, les humains, animés depuis la nuit des temps par des relations de hiérarchie et de pouvoir, n’ont cessé de créer des centres à la surface du globe. De fait, ils raffolent de capitales et autres chefs-lieux.
Plus localement, la ville de Montmorillon bénéficie du statut administratif de sous-préfecture ; à ce titre, elle a longtemps disposé d’un tribunal de première instance et d’autres équipements qui en ont fait le centre d’une partie du département de la Vienne. C’est également le siège d’une Maison des Jeunes et de la Culture - MJC, remarquable par son dynamisme dont est né un festival : Le Printemps des cartes. Depuis bientôt dix ans, il rassemble chaque année des scientifiques, des techniciens, des artistes, des opérateurs et du public autour de la cartographie, de ses particularités, de son histoire et de ses usages. Si les Montmorillonnais sont nombreux à participer aux activités du festival, le public vient également d’horizons multiples, dispersés en France et en Europe. Ainsi, chaque année pendant quelques jours, Montmorillon et sa MJC se constituent en centre du monde de la cartographie.
Dans ce contexte, il nous a semblé nécessaire de doter la MJC d’une opération cartographique qui rende compte de manière durable du caractère international de ses activités pendant les quelques jours du festival. L’installation « Montmorillon – 40 000 km » est une exposition permanente de panneaux indicateurs qui renvoient vers des lieux dispersés dans le monde entier.
Ces lieux n’ont pas été choisis au hasard, au contraire. L’orientation du bâtiment principal de la MJC détermine deux grands cercles qui font le tour de la terre en se croisant à angle droit dans sa cour. Les lieux sélectionnés pour les panneaux indicateurs sont situés sur ces cercles ; les distances indiquées correspondent à celles qu’il faudrait parcourir pour atteindre les lieux considérés. Ainsi, en prolongeant de 2 226 km la traversée de la cour vers la porte du Café-Labo, on arrive à Kiev ; 3608 km plus loin suivant la même direction, on croise la frontière entre le Kirghizistan et la Chine…
Les panneaux indicateurs renvoient à 24 lieux différents, ils sont situés à des distances variant entre 53 kilomètres (Argenton-sur-Creuse) et 12 214 kilomètres (île Maui, Hawaï). Un panneau particulier est suspendu au plafond du principal lieu de sociabilité de la MJC – le Café-Labo. D’un côté il indique « Antipode – 20 000 km » et de l’autre « Café-Labo – 40 000 km ». Ces indications interpellent d’autant plus que le panneau tourne sur lui-même au gré des courants d’air. Mais, grâce aux particularités topologiques de la sphère, elles sont effectivement valables quelle que soit l’orientation.
« Montmorillon – 40 000 km » transforme la ville et la MJC en centre d’un monde immense étendu sur les cinq continents. Ce développement géographique est délibérément abusif, il s’agit de provoquer auprès des visiteurs des questionnements peu conventionnels et de les engager à réfléchir à leur position dans le monde au-delà des références locales convenues.