… telle photo, tout d’un coup, m’arrive ; elle m’anime et je l’anime. C’est donc ainsi que je dois nommer l’attrait qui la fait exister : une animation. La photo elle-même n’est en rien animée (je ne crois pas aux photos « vivantes ») mais elle m’anime : c’est ce que fait toute aventure.
Roland Barthes, La chambre claire, 1980.
Organisée autour des fonds Laurent Ollivier et Léopold Mercier associés aux fonds familiaux Roger et Viollet (Henri Roger et Jeanne Viollet, parents d’Hélène, Ernest Roger et Henry Viollet, ses oncles), la « Documentation photographique Roger-Viollet » est fondée sur un principe encyclopédique et commercial : répondre à toute demande iconographique, en commençant par les reproductions d’œuvres d’art, spécialités Ollivier et Mercier.
Les ingénieurs Henri et Ernest Roger et l’archéologue Henry Viollet apportent aussi un ensemble photographique fondateur, à même d’illustrer la vie quotidienne d’une vaste famille française et celle des métiers d’invention entre 1880 et 1930.
Si Hélène Roger a appris la photographie dès son enfance auprès de son père, si avec Jean Fischer ils la pratiquent quand ils reprennent les activités d’Ollivier en 1938, ce sera leur politique d’acquisition plus que de production qui fera la renommée de l’agence Roger-Viollet.
La Documentation photographique Roger-Viollet ferme pendant la Seconde Guerre mondiale et rouvre à la fin du conflit ; débutent alors véritablement, après le long classement de l’existant, les activités commerciales et photographiques du couple Roger-Fischer : acquisitions, intégrations, tirages et retirages, diffusion.
Attachés au droit d’auteur et dotés d’un sens pratique à toute épreuve, les fondateurs organisent les « flux » et « stocks » comme personne : des quelques 100.000 phototypes issus des fonds Ollivier, Mercier, Roger et Viollet, les collections s’enrichissent par vagues monumentales jusqu’à atteindre leur périmètre actuel de quelques 8 millions de phototypes ; tous les fonds ou presque ont été acquis droits patrimoniaux inclus, ces droits appartiennent désormais à la Ville de Paris.
Citons pour les plus connus ou reproduits depuis leur entrée dans les collections : Laure Albin Guillot, Alain Adler, Roger Berson, Jacques Boyer, Maurice-Louis Branger, Pierre Choumoff, Compagnie des Arts photomécaniques, Ferrier-Soulier, Albert Harlingue, Marcelle d’Heilly, Charles Hurault, Georges Kélaïditès, Lapi, Léon et Lévy, Robert Levy (Noa), Studio Lipnitzki, Henri et Elysée Martinie, Léopold Mercier, Neurdein Frères, Gaston Paris, Oswald Perrelle, Georges Pillement, Photos Rap…
Triées, numérotées, consultables, les Collections Roger-Viollet ont un plan de classement organique volontairement accessible, devenu avec le temps et la quasi-disparition des agences un sujet en soi : Histoire, Géographie, Personnalités, Animaux, Arts décoratifs, Beaux-arts, Danse, Mode, Musique, Spectacles, Sports…
L’offre ainsi composée s’appuie sur une réalité qui va très au-delà de la communication et du storytelling qu’en feront les fondateurs et la presse après le meurtre d’Hélène Roger par son époux en janvier 1985. En effet, au moins à partir de 1892 et sous l’enseigne « A. Foncelle », la vente de photographie est effective au 6 rue de Seine, adresse qui est aussi celle de la librairie bien connue Dorbon . Dorbon, éditeur, agrégateur, marchand de livres, de cartes, de gravures et d’estampes, aura ensuite pour voisin et remplaçant de Foncelle la firme Mulder (en 1895) puis Laurent Ollivier (en 1906), ce dernier ayant certes acquis le fonds Léopold Mercier mais ce faisant les fonds Dumeteau, Forterre, Michelez et Moretti.
On le voit, ce ne sont pas quelques ensembles mais de multiples fonds qui composent les Collections Roger-Viollet et qui donne à ce patrimoine sa profondeur. D’ailleurs, le 6 rue de Seine devint assez rapidement trop étroit et la seule vitrine de ces collections. Les fondateurs cherchent rapidement un lieu de conservation pour ce qui n’est pas proposé aux clients, ils occupent ainsi un temps (et entre autres) l’entresol du Petit Palais puis choisissent d’investir une ancienne petite industrie textile du Marais, se fixant par hasard en 1984 tout près du lieu de dévolution que sera la Bibliothèque historique de la Ville de Paris. Le 3 rue des Arquebusiers, miroir du 6 rue de Seine, doublonne en négatif ce qui est proposé à l’exploitation ; des documentalistes exercent sur ce site, alimentant la vitrine commerçante de nouveaux tirages réalisés dans le laboratoire maison jusque dans les années 1990.
Dans leur appétit de cumul, dans leur volonté mercantile, Hélène Roger et Jean Fischer ont fait œuvre de collecteurs mais aussi, et pour bonne part malgré eux, de collectionneurs. L’agrégation photographique crée par leurs achats donne aujourd’hui lieu à un patrimoine photographique français plein et entier sous égide municipale, le cœur des collections restant les réserves de la rue des Arquebusiers.
Dans leur volonté de diffuser, de vendre, de proposer, les classements historiques réalisés par les fondateurs et les documentalistes ont la vertu encore aujourd’hui de pouvoir témoigner, de par la multiplicité des tirages, du succès ou de l’échec commercial d’une « image » ; ainsi, une fois définitivement rassemblées et lisibles dans leur temporalité restituée physiquement et/ou numériquement, la vie d’une agence de presse et de ses fonds dans la seconde moitié du XXe siècle pourra être transmise aux publics et aux chercheurs qui pourront saisir ce « vertige photographique » qui prend souvent les visiteurs dans les réserves Roger-Viollet du Marais. En effet, une offre iconographie volontairement pléthorique comme le fut celle de l’agence Roger-Viollet comprend des centaines de milliers de vues de visages, de lieux, de faits et de natures mortes propres à composer pour peu qu’on s’y laisse prendre, un véritable kaléidoscope du monde d’hier aux années 1990.
En cours de numérisation depuis 1998, les fonds Adler, Boyer, Branger, Cuinières, Martinie et Gaston Paris sont visibles en totalité, comme les Expositions universelles et les vues stéréoscopiques de Paris. De très vastes campagnes de reconditionnement et de stabilisation ont été réalisées et sont en cours, menées avec le concours de l’ARCP ; toutes les photographies enchâssées conservées dans les collections ont été numérisées.
Le patrimoine des Collections Roger-Viollet est régulièrement exposé : musée Rodin / « Pierre Choumoff, un parisien russe (2005), Maison de Victor Hugo / « Portraits d’écrivains » (2008), Rencontres d’Arles / « Henri Roger, Trucs et trucages » (2008), Jeu de Paume / « Laure Albin Guillot, l’Enjeu classique » (2013), Petit Palais / « Portraits d’ateliers, l’artiste photographié d’Ingres à Jeff Koons » (2016), musée Nicéphore Niépce / « 1925-1935, la Photographie au service de la Modernité » (2019)… etc.
En cours d’inventaire depuis 2003, les fonds conservés au 3, rue des Arquebusiers sont consultables sur demande, qu’il s’agisse des quelques 600.000 photographies numérisées (non encore disponibles sur le catalogue en ligne des Bibliothèques spécialisées) ou des fonds non encore inventoriés s’ils sont accessibles.