À partir des caractéristiques de chaque lieu de spectacle, les auteurs définissent l’itinéraire d’un voyage autour du monde ; des documents cartographiques en constituent les étapes. Plusieurs médias sont mobilisés pour les accompagner et les valoriser, ils sont interprétés au piano, racontés à la voix et montrés à l’écran sous forme de vidéos.
L’approche retenue est à la fois artistique et didactique. Cependant, chaque représentation est composée suivant un mode de médiation plus heuristique que pédagogique. Il ne s’agit pas tant d’expliquer que d’exposer des dispositifs géographiques, temporels et sonores assez peu conventionnels pour conduire les auditeurs à revisiter leur savoir, s’interroger, imaginer et rêver.
Un « guide de voyage » distribué avant le spectacle, complète cette organisation. Chaque spectacle – chaque tour du monde – constitue un prétexte pour mobiliser non seulement la vue et l’ouïe des spectateurs mais également leur sens de l’orientation, leurs connaissances et leur imagination.
Tour du monde
Chaque performance est organisée en une quinzaine d’étapes et à travers autant de documents cartographiques. Ils composent un itinéraire autour du monde en suivant en ligne droite un « méridien » déterminé par le lieu du spectacle. Pour chacun, en fonction de sa position, de son orientation, de son histoire, de sa relation avec d’autres lieux… les auteurs définissent un voyage qui prend la forme d’un tour de la Terre de 40 000 kilomètres. Les cartes sont sélectionnées suivant cet itinéraire et elles sont exposées comme les étapes d’un voyage qui s’achève là où il a débuté. Ainsi, à chaque lieu de spectacle, correspondent un itinéraire et des documents cartographiques spécifiques.
Jouer les cartes
Les documents cartographiques présentent peu de caractéristiques communes avec les partitions musicales. Leur différence principale est relative à leur mode de transcription des informations et à la manière dont leur restitution s’organise dans le temps.
Les cartes sont des documents synoptiques. Ils se donnent à voir – plutôt qu’à lire – dans leur ensemble et leur structure ne comporte pas d’indication qui permettraient d’en guider l’investigation ; on peut commencer, poursuivre, faire une pause, changer d’échelle d’observation… n’importe où, à n’importe quel moment.
Pour sa part, la musique est un art qui s’organise dans le temps, de la même manière qu’un texte, une partition musicale se donne à lire entre un début et une fin, l’information est présentée de manière séquentielle. Sa lecture se déroule et son sens est perçu au fur et à mesure de l’avancement du temps. Les partitions composées suivant un mode séquentiel sont bien adaptées à l’écriture de la musique.
Cependant, depuis le début des années cinquante, des compositeurs codent leur musique par l’intermédiaire de figures graphiques. Elles présentent plus ou moins d’informations pour en encadrer l’interprétation mais, au contraire des partitions classiques, ce sont des images synoptiques. À ce titre, elles présentent d’importantes similitudes avec les documents cartographiques. Cette forme d’écriture ouvre largement les portes de l’improvisation et, de fait, chaque interprète peut privilégier les aspects de l’image qui correspondent le mieux à sa sensibilité, il choisit non seulement la suite des mélodies et des harmonies, il décide aussi de leur déroulement dans le temps. Dans des contextes différents, la même partition graphique peut donner lieu à des interprétations sensiblement différentes.
Les cartes présentent cependant une différence fondamentale avec les partitions graphiques en ce sens qu’elles figurent l’organisation de l’espace par un assemblage de signes conventionnels. A ce titre, on pourrait imaginer une méthode de transcription musicale qui consisterait en une transposition terme à terme ; une mise en musique qui, à chaque signe, chaque couleur, chaque poste de la légende … fasse correspondre un son particulier. La musique naîtrait de leur compilation. Une telle approche a été expérimentée par A. Delmas et G. Gaborit dont les premiers travaux ont été présentés dans le cadre de l’édition 2022 du festival Le Printemps des Cartes de Montmorillon.
Pour Le son des cartes, nous avons retenu une approche moins objectivable – celle d’une interprétation documentée qui laisse une large part aux expressions à la fois sensibles et esthétiques et donc à l’improvisation.
Dire les cartes et les lieux
Les représentations de l’organisation de l’espace ne sont pas nécessairement cartographiques. Les songlines des aborigènes d’Australie, les chants des marins de la mer Rouge ou encore les relations de voyage constituent autant d’exemples de textes qui rendent compte de la composition ou bien de la formation des territoires ; ils existent indépendamment des représentations graphiques. Pour leur part, les cartes comportent aussi des textes, dans le champ de la figuration ou bien sous forme de légende. Pour les lecteurs avertis, ils sont mobilisés en fonction de leur quête de connaissance. Lorsque ces textes exploitent un vocabulaire spécialisé, qu’ils rendent compte d’une toponymie exotique ou qu’ils sont formulés suivant une syntaxe désuète, ils sont susceptibles de prendre la forme de musique verbale ou de poésie sonore.
À certaines étapes du voyage – certaines cartes ou parties de cartes –, les deux performeurs disent des textes. Extraits des documents cartographiques, textes explicatifs, historiques, anciens ou récents, poésie ou encore forgeries…, ils constituent un contrepoint au piano et entrent en résonance avec les cartes.
Montrer, exposer, filmer des documents cartographiques
Les documents cartographiques sont le plus souvent des images fixes. Pour Le son des cartes, ils sont présentés sous forme vidéographique. Ainsi, les cartes ne sont pas seulement mises en musique et en textes, elles sont également mises en mouvements sous la forme de descriptions déambulatoires. Ce mode d’exposition a pour effet de transformer chaque image atemporelle en un déroulé dans le temps, entre un début et une fin. Il confère une temporalité à chaque document cartographique. Ce faisant, en fonction de l’ordre de monstration des parties, de leur échelle d’exposition, de l’éclairage ou encore de l’angle de vue, il opère une sélection, un ordonnancement et une hiérarchie. En ce sens, le passage à la vidéo porte sur la carte un point de vue de connaissance. Celui-ci est nécessairement partiel et partial.
Les outils numériques disponibles permettent d’entrer dans les moindres détails de chaque document graphique. Cette possibilité pourrait conduire à des tentatives d’épuisement de chaque document (suivant l’expression de Georges Perec, Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, 1982). Ce serait omettre qu’à chaque accroissement du niveau de détail montré sur une image, la part cachée du document initial augmente. Par ailleurs, chaque carte est susceptible d’être examinée suivant plusieurs échelles, à chacune correspondent des catégories particulières d’informations. Ainsi, il n’existe pas de bonne ou de mauvaise échelles d’observation mais seulement des points de vue de connaissance différents. Les vidéos du son des cartes n’échappent pas à cette règle.
Le son des cartes a donné lieu à deux spectacles : sa création, à la galerie marseillaise #7 clous, en octobre 2022 ; et en l’église Saint-Martial de Montmorillon, en mai 2023, dans le cadre du festival Le Printemps des Cartes. Partant de deux lieux différents suivant des orientations différentes, les itinéraires ont également été différents. Des extraits de ces moments sont disponibles en ligne.
Ainsi, depuis Marseille, le public a été conduit dans le Val de Loire à travers une carte géologique, sur l’estran de la mer du Nord à proximité de Saint-Malo, puis à San Francisco à la suite du grand incendie de 1906. À Montmorillon, il a été invité à un périple géologique dans le Jura, à une traversée de l’Inde en chemin de fer au début des années trente, à emprunter le canal de Panama puis, avant de boucler son tour du monde, à une promenade dans le marais poitevin vers 1840.
Vous pouvez également consulter ces extraits ici :
Le son des cartes – Géologie du val de Loire, octobre 2022
Le son des cartes - Marée montante octobre 2022, octobre 2022
Le son des cartes – Incendie à San-Francisco en 1906, octobre 2022
Le son des cartes – Géologie du Jura
Le son des cartes – De Karachi à Madras
Le son des cartes – Panama
Le son des cartes – De vert et d’eau
Voir également Pierre Dudésert, « Partition cartovidéographique - Explorations visuelles et sonores autour d’un méridien ».