Depuis le 24 février 2022, 2,5 millions de personnes ont quitté l’Ukraine pour échapper à l’avancée des chars russes et aux bombardements. Elles se sont réfugiées dans les pays limitrophes à l’ouest : Pologne, Hongrie, Slovaquie, Roumanie, Moldavie. La Pologne, au 8 mars, avait accueilli 1 412 503 personnes, mais très vite la Deutsche Bahn a mis ses trains à disposition des réfugié [1].
esLa gare centrale de Berlin est devenue le point de convergence des personnes entrant en Allemagne sans que des mesures publiques adaptées n’aient pu être prises pour les accueillir. Face au flot continu de personnes débarquant des trains, ce sont des bénévoles qui ont organisé et pris en charge l’accueil.
11 heures du matin, le 8 mars. Un petit groupe pousse un chariot vers la porte principale de la gare : une centaine de repas de midi, préparés par des personnes dont cuisiner est le métier. Elles n’appartiennent à aucun organisme officiel. Elles font cela « parce que c’est nécessaire ».
Sur le parvis de la gare, Chris conduit une famille réfugiée vers le bus. C’est son deuxième jour. Il n’en pouvait plus de voir les images de la guerre à la télévision. Il ne voulait pas rester inactif, impuissant. L’une de ses amies se trouve actuellement à Kiev. Le gilet jaune ou orange est le signe distinctifs des aidant
es. Muni d’une application de traduction, il explique où aller. Comment se procurer un ticket, une carte sim, où trouver un endroit pour dormir, où trouver une collation ?Les tickets « Helpukraine » permettent aux personnes munies d’une passeport ukrainien de voyager gratuitement avec la Deutsche Bahn. Arrivées à Berlin par les trains spécialement affrétés pour l’occasion, beaucoup d’entre elles sont désorientées.
Les foyers de Berlin sont saturés, il faut aller plus loin. Mais, dans une gare, l’angoisse peut tenir à une voyelle quand, par exemple, on ne peut distinguer Homburg de Hamburg. Certaines ont de la chance, car elles ont un but, le nom d’une ville inconnue où les attendent de la famille ou des ami
es. Il est plus difficile de ne pas savoir vers où continuer sa route.Chris scrute les alentours, les gens aux comportement suspect et il donnera l’alerte s’il pense qu’il peut s’agir d’un trafiquant. Depuis le début, les bénévoles ont tissé un réseau de surveillance. Là où l’aide individuelle comporte des risques, l’organisation collective apporte la sécurité.
En bas de l’un des escalators, Viola attend, prête à guider les gens vers le bus pour Paris. Ce sont celles et ceux qui ont trouvé une offre d’hébergement. En 2015, elle avait assisté, seule et impuissante, à la guerre en Syrie depuis sa ville de province, mais à Berlin, elle sent qu’elle peut se rendre utile dans un collectif : « J’ai chez moi, à la maison, une commode de ma grand-mère. Elle a été endommagée par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale. Je regarde tout le temps cette commode et je me dis que cela peut nous arriver à nous aussi. C’est ce qui est arrivé à ma grand-mère et moi aussi, je voudrais que des gens m’aident si j’en avais besoin. C’est pour cela que j’aide quand je le peux. »
Il y a un ou deux trains par heure, qui amènent entre 800 et 1 000 personnes, avec des moments de rush important. Viola nous montre l’application où s’inscrivent les bénévoles. Sur place, des coordinatrices et coordinateurs leur indiquent ensuite une place où proposer leur aide. À cette heure-ci, dans la gare, il y a 232 aidant
es à l’œuvre.Un groupe arrive, des femmes, des vieilles personnes, beaucoup d’enfants emmitouflés dans leur parka, des bonnets à pompom, des petits sacs à dos bariolés, beaucoup de peluches… dans les sacs en plastique, il y a juste des vêtements, des chaussures, de la nourriture.
Entre deux couloirs, les bénévoles ont installé un point de distribution. Les dons d’objets posent un problème logistique, il faut les stocker et les distribuer. À l’étage inférieur, une zone de repos, avec des matelas au sol.
Dans ce brouhaha, Dídac cherche une famille qu’il va aider à cette étape de son parcours. L’activiste LGBT vient d’Espagne et c’est son premier jour de bénévolat. « Je n’arrivais pas à rester à la maison. J’ai littéralement besoin d’aider. Ces gens sont mal en point, ils ont tout perdu », explique-t-il. Oui, les gens savent ce que signifie le drapeau arc-en-ciel qu’il arbore fièrement sur la poitrine. « Cela veut dire que tout le monde est bienvenu, sans considération de couleur, de nationalité, de religion ou d’orientation sexuelle. Nous sommes toutes et tous des êtres humains. »
La société civile a répondu exactement pour cette raison à l’urgence de la situation. L’humanité est la seule façon de prendre la guerre à défaut.
Face à la situation inédite, effrayante pour les générations d’après la Seconde Guerre mondiale qui découvrent la guerre à leur porte, émergera, espérons-le, un questionnement crucial, une question presque sémantique : qu’est-ce qu’une personne migrante, réfugiée, une personne qui demande l’asile ? Y a-t-il des raisons bonnes ou mauvaises de fuir la guerre et la misère ? Y a-t-il des personnes à accueillir et d’autres non ? Depuis 1993, on a recensé 45 000 morts aux frontières de l’Union européenne (UE). La guerre russe en Ukraine nous montre que si aujourd’hui c’est toi, demain cela peut être moi.
L’UE a pris des mesures de protection temporaire afin d’accueillir sans formalités particulières « les ressortissants ukrainiens et les personnes qui ont fait de l’Ukraine leur lieu de vie et les membres de leur famille déplacés en raison du conflit ».
Devant la gare, le sénat (le gouvernement régional) de Berlin a fait monter une tente blanche. Ce point d’accueil officiel reçoit entretemps les personnes à leur arrivée à Berlin. L’ancien aéroport de Tegel va être transformé en structure d’accueil. L’idée est de prendre le relais de l’organisation citoyenne de l’aide. Les prochaines solutions à trouver sont la répartition des arrivant es sur les différents Länder, la scolarisation des enfants, leur intégration, le financement de ces mesures...